Vincent Prêtet : L’escalier du financement en capital-risque

Vincent Prêtet dirige chez M Capital, 2 fonds d'investissements avec des participations du Seed à la série C. Nous vous partageons sa vision sur les différentes étapes du financement via le Capital-risque.


Dans son Venture Capital Executive Program, le professeur Jérôme Engel de la Haas Business School de l’université de Californie à Berkeley le formule ainsi : “dans une startup, la valeur est créée selon une courbe en escalier, marche par marche”.

La trajectoire d’une startup consiste à s’élever rapidement sur un escalier, une échelle, raide, marche après marche, des profondeurs d’une idée, d’une intuition, à l’installation lumineuse sur un marché.

Je ne décrirai ci-dessous que les marches que j’ai pratiquées plusieurs fois, celles du début de la trajectoire entrepreneuriale, de l’idéation à la Series B.

Cette réflexion est personnelle, fondée sur une expérience d’entrepreneur et d’investisseur, avec (i) plus de 40 startups que j’ai financées dont 20 au cours des 12 derniers mois et (ii) la gestion d’un portefeuille de près de 100 startups. Les chiffres relatifs au taux de succès d’atteinte de telle ou telle marche de financement sont issus des études annuelles d’Avolta Partners qui contribue (avec ses confrères) chaque année à objectiver les tendances du marché du capital-risque.

De l’idée au projet

Au rez-de-chaussée, vous démarrez souvent seul, ou avec un petit groupe. Ce qui vous anime, c’est une idée, une intuition, une possibilité de changer le monde, chacun à son échelle, chacun à sa manière, chacun à son image.

Votre idée prend forme au fur et à mesure que vous en parlez, que vous la partagez, que vous l’écrivez littéralement noir sur blanc, avec des mots, couchés sur le papier. Un projet ne se construit pas seul : il naît dans la confrontation avec la réalité, autrui, le monde… Votre idée est devenue un projet.

La marche des 3F

Lorsque votre projet est l’expression authentique de ce que vous êtes (c’est un long travail de discernement), vous êtes irrésistible et vous attirez progressivement à vous des ressources pour avancer : des cofondateurs, des salariés, des prospects, des clients, des partenaires… et de premiers investisseurs souvent issus du cercle des «3F» : Friends, Fools & Family.

Votre projet va alors s’incarner dans un prototype, une première ébauche de la solution que vous voulez construire pour répondre à un défi, un problème épineux, partagé largement. C’est éventuellement la première phase technologique. Parallèlement, vous allez devenir un expert de votre sujet. Vous connaîtrez les acteurs, leurs solutions alternatives, les quelques réussites, les nombreux échecs… Vous chercherez à comprendre les raisons des échecs pour ne pas les reproduire. Idéalement, vous aurez de premières marques d’intérêt de la part de clients qui vous achèteront de premières prestations pour vous tester.

Si l’opportunité que vous poursuivez est assez vaste et que cela vous semble pertinent, il sera alors temps d’ouvrir votre capital pour la première fois auprès de tiers : les Business Angels.

En synthèse, la marche des 3F c’est :

  • Financement obtenu : 50 à 300 k€
  • Dilution constatée : 10 à 15%
  • Jalon de performance à atteindre pour déclencher le financement suivant : arriver à un prototype, réaliser de premières ventes
  • Financement suivant : pré-amorçage avec des Business Angels

La marche du pré-amorçage

Dans le jargon du financement, nous parlons d’amorçage lorsqu’une startup ne vend pas encore son produit cible. Pour une startup de robotique, par exemple, l’amorçage concerne la phase initiale (qui peut durer des années) : conception, prototypage, premiers assemblages, premières ventes, pré-industrialisation, pré-série validant la réplicabilité. Lorsque ces étapes sont validées, vous quittez l’amorçage… et commencez à vendre un produit réplicable.

Avec votre prototype, vous allez chercher du financement auprès des Business Angels. Comme leur nom l’indique, ce sont des investisseurs providentiels, des anges que le Ciel nous envoie pour venir partager une solide expérience et mobiliser une première capacité de financement à vos côtés.

Ce premier tour de financement vous met le pied sur la première marché de l’escalier du capital-risque. Vous répondez à leurs investigations, qui vont durer quelques semaines à quelques mois, vous structurez un pacte d’actionnaires, vous discutez de votre Business Plan, vous convenez de modalités d’investissement, d’une valorisation, d’une dilution… Vous posez les bases de votre future gouvernance… La préparation d’un financement dure usuellement 6 a 9 mois.

Une fois les fonds perçus sur le compte en banque de votre startup, l’aventure commence et l’horloge se met à battre. Le compte à rebours est lancé.

Pour les startups deeptech, avec 5 à 10 ans de développement technologique avant la première vente, votre performance ne sera pas évaluée à l’aune de votre proximité avec le marché (chiffre d’affaires). Les métriques seront spécifiques à votre secteur, à votre capacité à franchir des jalons de performance technologique (ou règlementaire) tout en renforçant votre équipe et votre assise financière. Ceci donnera lieu à un autre article.

Pour les startups commerciales, celles qui ne sont pas “deeptech”, votre objectif est limpide et ardu : vous avez moins de 18 à 24 mois pour atteindre 300 à 400 k€ environ de chiffre d’affaires dans la commercialisation de votre prototype. Idéalement, vous mettez fin aux activités de prestation (facturation de Jour Homme) pour clarifier votre modèle d’affaires. Votre objectif, montrer à des investisseurs en capital-risque spécialistes de l’amorçage que votre prototype trouve de premiers clients.

En synthèse, la marche du pré-amorçage c’est usuellement :

  • Financement obtenu : 200 à 800 k€
  • Dilution constatée : 10 à 30%
  • Jalon de performance à atteindre pour déclencher le financement suivant : atteindre 300 à 400 k€ de revenus commerciaux
  • Financement suivant : amorçage avec des fonds de capital-risque

La marche de l’amorçage

La sélection naturelle commence à sévir sérieusement à ce niveau de l’escalier : moins de 10% des entrepreneurs sont financés. Nombreuses sont les raisons pour dérailler : la brouille entre cofondateurs, le manque de trésorerie, la durée…

Avec beaucoup de travail et d’efforts et avec un peu de chance, vous avez atteint la barre des 300 à 400 k€ de revenus : vous pouvez commencer la tournée des fonds de capital-risque ; certains parlent de “road-show”. Avec ce niveau de revenus, vous venez de prouver que votre technologie est achetée. Reste maintenant à comprendre qui sont les clients les plus appétents, selon quelle manière vendre…

Vous abordez votre deuxième tour de financement. Notez que vous changez de catégorie et de typologie d’interlocuteurs. Désormais, ce sont des investisseurs professionnels qui vous reçoivent : leur métier consiste toute la journée à rencontrer des entrepreneurs comme vous. Vous êtes dans leur “dealflow”. Après quelques années à “manger du dealflow”, vos interlocuteurs investisseurs sont sur-entraînés dans l’exercice dans lequel vous débutez. Abordez la rencontre sereinement, votre interlocuteur sait ce qu’il veut découvrir et il ajustera très rapidement son échange avec vous pour vous orienter vers d’autres interlocuteurs si votre projet n’entre pas dans sa thèse d’investissement.

La thèse d’investissement du fonds de capital-risque est un élément clef : c’est le contrat que l’investisseur a lui-même noué avec ses propres investisseurs, les fameux Limited Partners ou LPs. Ce contrat prévoit : des zones géographiques, des secteurs d’activité, des niveaux de maturité pour les entreprises cibles puis en conséquence, des montants d’investissement, des niveaux de détention (en % du capital)…

Certaines thèses d’investissement méritent d’être connues :

  • les fonds territoriaux, généralistes, intervenant dans une ou plusieurs régions
  • les fonds spécialistes de l’amorçage, souvent financés par un LP particulier, le Fonds National d’Amorçage (FNA) de Bpifrance, qui interviennent en premiers investisseurs institutionnels avant le premier euro de chiffre d’affaires sur le produit cible
  • les fonds spécialisés par thématiques, intervenant au niveau national sur des sujets précis : les technologies en lien avec l’océan, la décarbonation, l’industrie …
  • les fonds deeptech

Ce qui vous rend irrésistible :

  • Vous avez traversé la marche du pré-amorçage en 18 à 24mois
  • Vous n’êtes pas “court pétrole” : la trésorerie est encore là pour quelques mois
  • Vous commencez à penser «Produit»
  • Vous pilotez votre décollage commercial, la tendance est croissante, en accélération
  • Vous étoffez votre équipe, vous avez repéré les profils dont vous avez besoin pour accélérer
  • Vous “pitchez” les fonds de capital-risque en comprenant leur thèse d’investissement

En synthèse, la marche de l’amorçage c’est :

  • Financement obtenu : 800 k€ à 3 M€
  • Dilution constatée : 20 à 30%
  • Jalon de performance à atteindre pour déclencher le financement suivant : atteindre 1 M€ de revenus commerciaux
  • Financement suivant : Series A avec des fonds de capital-risque

Lorsque je vous rejoins à ce niveau de l’aventure, mon métier d’investisseur est de vous amener à la Series A puis à la Series B.

  • Avec mes confrères coinvestisseurs, je contribue aux orientations stratégiques de votre startup, je vous partage si vous l’acceptez une expérience constituée sur plusieurs dizaines d’autres sociétés qui sont passées par les mêmes phases de développement.
  • Collectivement, investisseurs, nous avons une tour de contrôle équipée d’un radar à « peaux de bananes » exceptionnel. Si la recette du succès n’est pas disponible, notre radar à « peaux de bananes » peut vous être précieux parce qu’une peau de banane est toujours glissante, peu importe le pied qui se pose dessus... Nous sommes ravis de vous partager cette expérience pour éviter des glissades inutiles.
  • Une partie de mon travail est aussi de vous épauler dans la vente de votre « equity » : notre rôle est de vous aider à embarquer de nouveaux investisseurs et de préparer vos prochains tours de table.

Depuis la première fois que vous avez levé des fonds, l’horloge tourne. Tic tac…

  • Gardez à l’esprit le cycle de l’horloge. Vous avez idéalement 18 à 24 mois pour franchir chacune des marches de l’escalier. Si votre longueur de marche est plus longue, si la durée est plus longue, vous commencez à dérailler de la trajectoire nominale.
  • Votre rythme d’horloge est crucial. Pensez à décomposer votre trajectoire en cycle de 18 à 24 mois avec des objectifs clairs validant chaque fin de marche. Chaque marche sera plus facile à financer ; l’objectif à atteindre pour déclencher le financement suivant sera limpide. Dans un environnement complexe, les investisseurs apprécient la limpidité.

La marche de la Series A

Vous abordez votre troisième tour de financement. Vous avez des clients et l’avez prouvé avec votre jalon commercial à 1 M€. L’enjeu maintenant est de prouver que vous allez conquérir un marché, tout en structurant une équipe et en donnant de la visibilité sur vos finances.

Vos recrutez un DAF à temps plein. Vous étoffez votre comité de direction sur les enjeux commerciaux et opérationnels. Vous commencez à étoffer votre Comité Stratégique et devez l’avoir rendu effectif : vous arrivez à échanger avec les membres en transparence et honnêtement, en étant factuel, en arrêtant d’enjoliver la situation, en partageant des chiffres précis sur la trésorerie, le BFR, les ventes…

Bravo, vous avez dans les mains une jeune entreprise qui va pouvoir grandir en combinant les forces de tous : fondateurs, investisseurs, collaborateurs, clients, concurrent….

Ce qui vous rend irrésistible :

  • vous avez un comité de direction de bon niveau, avec des profils complémentaires et pertinents
  • vos ventes progressent rapidement
  • vous pilotez vos finances et la marge brute
  • votre comité stratégique est effectif

En synthèse, la marche de la Series A c’est :

  • Financement obtenu : 3 à 7M€
  • Dilution constatée : 20 à 30%
  • Taux de succès : 26,6% des startups en amorçage atteignent une Series A
  • Jalon de performance à atteindre pour déclencher le financement suivant : atteindre 4 à 5 M€ de revenus commerciaux et un début de rentabilité unitaire (chaque produit vendu génère un profit)
  • Financement suivant : Series B avec des fonds de capital-risque

La marche de la Series B

Vous abordez votre quatrième tour de financement : vous maîtrisez le sujet!

Pour la première fois, vous vous appuyez sur un leveur de fonds pour coordonner l’exercice parce que vous discutez avec de nombreux fonds qui mènent tous des due-diligences très significatives.

Ce sont vos réalisations qui parlent pour vous désormais, ce n’est plus votre pitch qui compte. Vous avez prouvé que vous aviez un marché. C’est une histoire sérieuse qui commence maintenant : une phase d’exécution intense sur un modèle d’affaires qui semble trouvé.

C’est probablement l’heure de recruter un nouveau CEO, un hyper-gestionnaire capable de propulser votre startup dans une phase d’hypercroissance : recrutements à grande échelle, process, pilotage…

Vous allez aussi travailler sur les valeurs de votre startup, afin de créer un socle de cohérence pour la croissance à venir.

Les fonds de Series B dits fonds de «growth» sont spécialisés sur cette phase. C’est pour moi le moment de prendre un strapontin, de quitter le comité stratégique et de rester disponible pour prendre une bière de temps en temps. Pensez encore à moi de temps en temps, je souhaite découvrir et partager avec vous la suite de votre aventure !

En synthèse, la marche de la Series B c’est :

  • Financement obtenu : +10 M€
  • Dilution constatée : 10 à 20%
  • Taux de succès : 7% des startups en amorçage atteignent une Series B
  • Jalon de performance à atteindre pour déclencher le financement suivant : atteindre 10 à 20 M€ de revenus commerciaux et viser une rentabilité globale (EBITDA non-retraité positif)
  • Financement suivant : Series C avec des fonds de capital-risque voire des fonds de private-equity


Le Medium de Vincent Prêtet

Vincent PRETET – Medium
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Vincent PRÊTET — M Capital
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