Julia de Funès : Les formations en leadership sont une imposture

La philosophe Julia de Funès est auteure notamment de "Socrate au pays des process" et "Le développement (im)personnel". Dans sa chronique dans L'Express, elle nous livre sa vision sur l'intérêt des formations en leadership.


"Qu'il s'agisse de gagner en efficacité ou de devenir impactant, ces formations semblent ignorer que l'autorité charismatique ne s'enseigne pas.

On distingue généralement trois types d'autorité. L'autorité de l'antériorité, fondée sur le respect de l'ancienneté. L'autorité reposant sur le pouvoir de la supériorité hiérarchique. Et l'autorité purement charismatique liée au rayonnement d'une personnalité. Et c'est bien de celle-ci que les formations aussi coûteuses que stéréotypées en leadership prétendent s'occuper depuis des années.

Renforcer sa confiance en soi, gagner en efficacité, devenir impactant, savoir parler en public, adopter la posture managériale sont quelques-unes des promesses que ces formations proposent aux managers fraîchement promus. Or à la différence des contes de fées qui métamorphosent le crapaud en prince charmant, rares sont les méthodes qui parviennent à transformer un pusillanime en charismatique hors pair. Les techniques s'avèrent pour la plupart superficielles et illusoires car elles semblent ignorer que l'autorité ne n'enseigne pas. Et cela pour deux raisons de fond.

La première tient à la nature même de l'autorité, qui en empêche tout simplement l'apprentissage. On enseigne des choses stables, fondées, établies. Or l'autorité se caractérise justement par sa contingence, sa volatilité, son incertitude, puisqu'elle n'a d'autre légitimité que celle d'une puissance personnelle conférée par autrui. J'aurai beau apprendre tous les trucs et astuces pour devenir charismatique, si autrui juge et décide que je n'ai aucune autorité, je n'en aurai jamais aucune. Autrement dit, l'autorité dépend d'un avis extérieur qu'aucun apprentissage ne peut jamais garantir.

La seconde tient à la singularité de l'autorité, que ces formations nient en voulant l'uniformiser par des modes d'emploi; des kits comportementaux, qui s'adressent à chaque participant comme à des centaines d'autres. Par quel miracle l'autorité pourrait-elle faire l'objet d'une recette commune ? Comment le charisme pourrait-il se réduire à un code de conduite admis ? Ces formations ne peuvent qu'aboutir pour al plupart à un formatage, à l'adoption d'une posture, qui, comme toute posture, réifie, chosifie, homogénéise, et ne s'avère finalement qu'une imposture.

Si l'autorité ne peut faire l'objet d'aucun apprentissage, d'où vient alors ce charme qu'est le charisme (charys en grec signifie charme) ? de la singularité, de la puissance de l'individu, dit Nietzche. Celui ou celle qui séduit et impacte puise sa force dans une volonté de puissance. Cette volonté de puissance n'est pas une volonté de pouvoir qui cherche à diminuer les autres pour mieux se rehausser soi-même. Une volonté de puissance se veut elle-même, ne désire rien d'autre que sb accroissement, sa propre intensification, sa pulsation permanente.

Le charisme est affaire de style, de personnalité et ne peut faire l'objet d'aucun formatage

Il n'y a ici ni outil, ni méthode, ni recette, simplement l'énergie et le courage de sa propre volonté. Désirer ce qu'on désire, avoir envie de dire ce que l'on est en train de dire, est bien plus opérant que d'adopter la posture invoquée comme instrument de communication et d'influence sur autrui. Passer du pouvoir sur autrui à la puissance du soi, autrement dit passer de techniques formatées à une authenticité assumée, s'avère bien plus attirant et efficace que n'importe quel catéchisme comportemental.

J'en veux pour preuve que chaque grand leader a son style bien particulier : il y a les timides, comme Darwin Smith, au style maladroit, qui fuyait les projecteurs tout en faisant preuve d'une volonté de fer, les autoritaires comme Steve Jobs, les énergiques comme Nicolas Sarkozy, ls inflexibles comme Margareth Thatcher, les fonceurs comme Bernard Tapie, les discrets comme Tim Cook...

Tout cela montre une chose, très clairement : c'est que le charisme est affaire de style, de singularité, de personnalité et ne peut faire l'objet d'aucun formatage postural. Mais dans un monde où l'essor du développement personnel finit par dépersonnaliser et gommer les singularités de tout un chacun par l'uniformisation des recettes qu'il marchande, où l'individualité semble toujours plus subordonnée aux techniques comportementales, cela peut paraître réconfortant pour les managers seuls face à eux-mêmes de se raccrocher aux branches des conduites guidées. C'est oublier l'essentiel : le charme vient avant tout du courage d'être soi-même.


La chronique sur L'Express

Les formations en leadership, une imposture ! Par Julia de Funès
Qu’il s’agisse de “gagner en efficacité” ou de “devenir impactant”, ces formations semblent ignorer que l’autorité purement charismatique ne s’enseigne pas.